Le Pecq vu par un contemporain de Balzac

Publié le par Les tourtereaux

L'écrivain dont on citera les mots se nomme Léon Gozlan et, s'il m'était totalement inconnu, il ne l'est pas de Wikipédia, qui lui consacre un bref article. L'un des premiers romans de ce contemporain de Balzac s'intitule Le Médecin du Pecq. Dans les premiers chapitres, l'auteur décrit de façon humoristique, ironique et exagérée la rue dans laquelle les tourtereaux habitent.

Le Pecq n'est ni une ville, ni un village, ni même un bourg : c'est une rue démesurée dans sa maigreur ;. on croirait voir l'épine dorsale d'une grande cité dont les mille antennes brisées auraient disparu à la suite dé quelque cataclysme. Elle pend de Saint-Germain en Laye à la Seine sur une ligne d'une déclivité effrayante à considérer et plus effrayante encore à parcourir. On serait parfois tenté de supposer aussi, en cédant au ressort des inductions, que le Pecq était jadis une rue de Saint-Germain, tout à coup détachée par un orage et restée en route avant d'achever de rouler jusqu'à la rivière : la dernière maison semble soutenir celle qui s'y adosse; toutes ont l'air de se servir mutuellement d'appui. Quand on mesure d'un œil courageux son interminable perspective on semble être menacé de la chute des rares habitants qui apparaissent aux plans éloignés ; ils tombent sur vous dans le parcours idéal d'une parabole colossale. On prétend que certaines villes de la Bretagne ont quelque ressemblance avec le Pecq.

La dernière phrase m'échappe. Le coup de la rue détachée par l'orage, il fallait y penser ! La « déclivité effrayante », il ne faut quand même pas exagérer !

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Dès qu'on a quitté la berge de la Seine on a le pied sur la première marche de cette autre chaussée des géants qu'on nomme le Pecq; le pèlerinage du piéton commence. Il est rude quoiqu'on ait adouci les abords par des échappées de campagne en forme de ruelles, où l'œil allangui se repose un moment avant d'affronter d'autres horizons. A droite et à gauche s'élève un rideau de maisons d'une grise ambiguïté, car elles n'ont ni le caractère prononcé des constructions bourgeoises ni la physionomie agreste des chaumières. En général elles n'ont que deux étages, troués de croisées chassieuses dont l'alignement mal observé forme d'étranges parallèles avec la diagonale de la rue; elles sont mitrées d'un pignon souvent crevassé par le poids des neiges de l'hiver, fort dur à cet endroit ; et il est rare que la frise de la porte ne  soit pas ombragée d'un rameau de pin, symbole du principal commerce du pays.

Le poids des neiges de l'hiver... tout ça est bien loin aujourd'hui ! Quelqu'un sait de quoi un rameau de pin est le symbole ?

On boit beaucoup au Pecq ; mais chacun doit boire chez soi ou chez le voisin, à en juger par l'unique destination qu'affecte chaque maison, grande ou petite. Si l'intérieur de ces maisons entre deux vins est occupé par une population mixte de mariniers et de gens de la campagne, la rue est acquise aux chiens et aux poules, seuls êtres assez hardis pour braver le soleil des journées d'été sur un pavé de laves. Que font là ces chiens ? Voilà un problème de population encore plus difficile à résoudre qu'en Turquie , où leur multiplicité s'explique par un esprit religieux : le Pecq ne rend pas raison de ses chiens. Il est vrai que le Pecq ne parait pas s'occuper beaucoup de leur alimentation : ils se nourrissent de sommeil. Couchés au travers de la rue, ils sont aussi indifférents que les indigènes aux piétons qui passent près d'eux en haletant ; si ce n'est en rêve , ils n'aboient jamais. Aussi le silence du Pecq n'est-il troublé dans sa monotone étendue que par les échos de quelques forges cachées ou par le petit bruit sec du marteau du tonnelier.

Ce paragraphe est vraiment n'importe quoi !

A mesure qu'on s'élève dans la rue on aperçoit çà et là des extrémités fleuries de jardins, des brassées de lierre jetées sur le dos des murs, franges des propriétés bourgeoises bâties entre Saint-Germain et la moins ingrate partie du Pecq. Un phare devrait indiquer au voyageur qu'il est parvenu aux deux tiers environ de sa courageuse ascension. Le phare est une église, la métropole probablement. Il faut plaindre les paroissiens sexagénaires qui sont en aval ou en amont de cette fortification religieuse : l'acte seul de s'y rendre mériterait de nombreuses indulgences. Et quel sérieux ne faut-il pas au curé de la paroisse pour dire comme refrain dans ses sermons : Dans cette vallée de larmes... Quelle vallée que le Pecq !

L'église, un phare pour indiquer qu'on a fait les deux tiers de la côte, c'est trop fort ! En même temps, il y a là peut-être un fond de vérité car lorsque notre petit bonhomme fait aller ses gambettes pour rentrer à la maison après une journée passée à la crèche en bord de Seine, il aime s'arrêter à ladite église pour contempler les vitraux. Peut-être a-t-il tout simplement besoin d'une pause ?

De l'église au couronnement de la montagne le chemin est encore plus roide , si c'est possible ; on éprouverait un découragement profond de l'avoir affronté si on ne distinguait au zénith la galerie aérienne du château de Saint-Germain. Le port de salut est là-haut. A l'aspect de cette découpure le point d'honneur s'en mêle et on fait bon courage pour atteindre à la consolante esplanade, où vous mènent bientôt en riant des jardins découverts jusqu'à la ceinture ; on s'attache en idée à cette rampe , audessus de laquelle le regard fatigué s'étale sur des merveilles de verdure peu à peu apparues , et l'on sent que les pieds se superposent plus exactement au terrain.

La rampe en question est en cours de restauration; il s'agit des anciens murs de soutainement des jardins du château neuf de Saint-Germain-en-Laye. Ce château ayant besoin d'être restoré, il fut mis en travaux peu avant la révolution française, qui lui fut fatale. Il n'en reste aujourd'hui que cette immense « rampe » qui mène effectivement à la grande galerie sur la terrasse du château de Saint-Germain. 

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Bref, je pense que je vais lire ce roman, ça promet d'être assez amusant !

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